Texte de son témoignage réalisé par le Grand Lyon pour les élèves qui partent au voyage mémoire à Auschwitz-Birkenau.
Claude BLOCH
Je suis né le 1er novembre 1928 à Lyon.
J’ai eu deux frères, l’un, né en 1927, n’a pas vécu, l’autre, né en 1931, est décédé en 1933.
Mon père est né en 1894 et est décédé en 1938. Ma mère est née en 1904 et elle est décédée en déportation en 1944.
Côté paternel, mon grand-père est décédé avant ma naissance et ma grand-mère est décédée en 1939.
Ma tante et mon oncle ont été déportés à Tours en 1943 et sont décédés en déportation.
Côté maternel, mon grand-père est né en 1874 et est décédé dans les locaux de la Gestapo en 1944 au cours d’un interrogatoire. Ma grand-mère a échappé à l’arrestation. Elle était née en 1878 et est décédée en 1949.
Au moment de mon arrestation, j’avais 15 ans, c’était le 29 juin 1944.
J’étais étudiant en 1 ère année à la Martinière.
A mon retour de déportation en 1945, j’ai repris mes études, j’ai commencé à travailler comme comptable le 1er septembre 1948.
Au décès de ma grand-mère, je me suis retrouvé seul à 21 ans.
Je me suis marié en 1950. J’ai trois fils, nés en 1952, 1954 et 1956 et neuf petits-fils.
Je suis en retraite depuis le 1er avril 1989.
Mon histoire :
Le 29 juin 1944, j’ai été arrêté dans la banlieue lyonnaise où nous nous étions réfugiés en février 1944, mes grands-parents maternels, ma mère et moi. Mon père était décédé en 1938, sa mère (ma grand-mère paternelle) en 1939. Sa soeur et son beau-frère déportés en septembre 1943 ne sont pas revenus.
Ce 29 juin 1944 je suis en vacances scolaires depuis peu de jours (j’ai 15 ans), ma mère est en congé maladie, mon grand-père ne quittait pratiquement jamais la maison et passait la plupart du temps dans sa chambre, ma grand-mère avait rendez-vous chez le dentiste à Lyon et était partie le matin.
A 11h45, 2 hommes se présentent au rez-de-chaussée de la maison et après avoir demandé au propriétaire, montent au 1er étage et nous demandent de préparer une valise en nous informant qu’ils nous arrêtent (je reconnaitrai après-guerre sur photo parue dans la presse que l’un d’eux était Paul Touvier chef de la milice à Lyon et qui avait assisté le matin même devant le mur du cimetière de Rillieux la Pape, commune voisine de celle où nous étions, à l’exécution de 7 juifs qu’il avait désignés en représailles de l’assassinat la veille de Philippe Henriot, ministre de l’information de Vichy par des résistants).
Ma mère me demande de me changer. Alors que je m’apprête à mettre un pantalon court, elle me dit : « non, mets ton pantalon long » ce que je fais sans demander d’explications.
Arrivés au siège de la Gestapo, on nous fait descendre dans la cave de l’immeuble et assoir sur des chaises (il y a déjà des personnes dans cette cave). Au bout d’un moment un homme vient chercher mon grand-père et ma mère pour un interrogatoire. Environ une demi-heure plus tard ma mère revient, seule en pleurs et me glisse dans l’oreille « ils ont tué ton grand-père ». J’ignore ce qu’ils ont fait de son corps. Le soir nous avons été transférés à la prison Montluc et après une nuit à 7/8 dans une cellule j’ai été mis dans la « baraque aux juifs ». Par 2 fois lors de mon séjour, dans cette baraque, de bonne heure le matin, un soldat allemand a égrené une liste de noms de détenus qui s’est terminée par la mention sans bagage ce qui signifiait que les hommes appelés seraient fusillés dans la journée.
Le 20 juillet, 3ème liste : je fais partie de cette liste et j’ai dû attendre la fin de cette liste (ce qui m’a paru interminable) pour entendre avec bagages ce qui signifiait un transfert « ailleurs ». Dans la cour où nous avons été réunis j’ai retrouvé ma mère appelée également dans sa cellule.
Le 22 juillet nous arrivons au camp de Drancy et avons été mis, ma mère et moi, dans le même bâtiment. Pendant notre séjour à Drancy des bus sont arrivés avec des enfants (les plus jeunes devaient avoir 2 ans-2ans et demi) seuls, sans adulte. Ils provenaient de maisons ouvertes pour eux à Paris.
Au tout début des rafles de juifs à Paris alors que les nazis n’emmenaient pour une destination inconnue que les adultes (à partir de 15 ans) ceci jusqu’au jour où René Bousquet, chef de la police de Vichy, leur a demandé vers juin 1942 d’emmener toute la famille ne sachant plus où mettre les enfants, ce qui fut fait. Mais les 300 enfants qui étaient dans ces maisons ont donc été amenés à Drancy fin juillet 1944.
Le 31 juillet nous avons été rassemblés 1000 adultes et les 300 enfants mentionnés. Nous avons été emmenés à la gare de Bobigny où nous attendait un train de wagons à bestiaux. Embarqués 80 à 90 par wagon (j’étais toujours avec ma mère), sans nourriture ni eau nous avons voyagé les 31 juillet, 1er et 2 août. Le 3 aout vers 3h du matin le train s’est arrêté. Nous avons alors entendu à l’extérieur des cris et aboiements de chiens. Nous étions à Birkenau. La porte du wagon s’ouvre. Nous descendons, les femmes et les enfants d’un côté, les hommes de l’autre. J’ai 15 ans, je ne suis pas grand, plutôt fluet (45 kg). Je vais du coté de ma mère qui me repousse assez violemment du côté des hommes. Je la perds immédiatement de vue et ne l’ai jamais revue. Je ne sais toujours pas pourquoi après m’avoir dit de mettre un pantalon long au moment de notre arrestation, elle me sauve une seconde fois la vie en me repoussant du côté des hommes. Si j’arrive en pantalon court je suis considéré comme enfant et suis désigné pour la chambre à gaz. Pareil si je reste avec elle. Elle m’a ainsi sauvé 2 fois la vie.
Sélection à l’arrivée : jugés aptes au travail d’un côté, les inaptes de l’autre. Je me retrouve dans les aptes au travail.
Nous parcourons à pied les 3 kilomètres qui nous séparent de Auschwitz Déshabillage, tonte de la tête aux pieds, tatouage sur l’avant-bras gauche (B3692) une veste, un pantalon 2 souliers.
La survie à Auschwitz : appels matin et soir (souvent interminables le soir), travail de terrassement épuisant (c’était le but).
Le matin nous avions 1 cuvette de café pour 6, à midi une cuvette de bouillon pour 4, le soir après l’appel un cube de pain noir (environ 200g.) avec une rondelle tantôt de margarine, tantôt de boudin.
Le dimanche, pas de travail.
Nous marchons toute la journée dans les allées du camp (interdiction d’entrer dans un bâtiment). Les nouvelles arrivaient sans que l’on sache comment. Nous avons ainsi su qu’un ordre était arrivé de Berlin d’arrêter les chambres à gaz dans tous les camps d’extermination et de les détruire lorsque les soviétiques approcheraient.
A ce propos on avait su que les déportés du sonder commando de la chambre à gaz n° 4 à Birkenau l’avaient faite exploser le 7 octobre 1944.
Une fois après un jour sans travail, un dimanche, on n’a pas travaillé le lendemain. On s’est alors posé des questions. On a su 2 ou 3 jours après que ce 2ème jour était le 25 décembre 1944, fête par excellence des enfants qui étaient gazés à l’arrivée à Birkenau !
Quelques jours après j’étais transféré à Stutthof (Pologne) en train composé de wagons à plateau (température entre -25 et - 30°).
Fin avril, début mai 1945 nous avons été embarqués à fond de cale de péniches et sommes arrivés en rade d’un port (qui s’avèrera être Flensburg) et sommes montés sur un cargo ancré là (il y en avait plusieurs). 3 jours plus tard après que les SS aient disparu au cours de la nuit, la Croix Rouge suédoise venait nous chercher.
Nous étions le 10 Mai 1945
2 jours après la capitulation sans condition de l’Allemagne.
Après 2 mois en Suède, le 14 juillet nous avons été emmenés au port de Göteborg où nous avons retrouvés d’autres rescapés et avons embarqués sur un paquebot.
Le 20 juillet nous débarquions à Cherbourg et le 22 juillet j’étais de retour à Lyon où j’ai retrouvé la seule personne qui restait de ma famille : ma grand-mère qui heureusement était absente lors de notre arrestation.
Elle est décédée en septembre 1949, 2 mois avant mon 21ème anniversaire.
Je fais partie des 2500 rescapés français des camps d’extermination soit 3% des 76000 déportés.
Publications :
J’ai enregistré une cassette VHS au C.H.R.D à Lyon dans laquelle je raconte mon parcours en déportation.
(Montluc, Drancy, Auschwitz, Stutthof en banlieue de Gdansk).